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Crise du logement aux États-Unis: La carte de la misère

La baisse du prix de l’immobilier a de beaux jours devant elle

8 mai 2008, WASHINGTON, DC

Plus proche d’un cartographe que d’un responsable de banque centrale, Ben Bernanke a présenté cette semaine le dernier gadget de la Réserve fédérale destiné à suivre l’évolution de la crise du logement américaine : des cartes représentant en couleurs les baisses de prix, les forclusions et autres indicateurs de la misère liée au logement pour chaque comté.

Son but était de démontrer que la chute des prix implique plus de forclusions et d’inciter les bailleurs à limiter le capital sur les prêts douteux, lorsqu’une maison a moins de valeur que son hypothèque. Ses cartes, sur lesquelles les couleurs les plus chaudes représentent les zones les plus problématiques, sont particulièrement parlantes. Les conséquences de la crise de l’immobilier américaine varient considérablement selon les régions. Les plus touchés ont été les « états bulles », à savoir la Californie, le Nevada et la Floride, ainsi que certaines parties du Midwest industriel. La plus grande incertitude concernant l’économie est de savoir à quel point la situation va empirer.

La réponse est complexe. Il est difficile de savoir dans quelle mesure les prix de l’immobilier ont baissé. Les États-Unis disposent de plusieurs indices de prix de l’immobilier, chacun donnant un son de cloche différent. Très largement cités, mais également les moins utiles, sont les chiffres mensuels illustrant les prix médians de l’immobilier fournis par la National Association of Realtors (NAR). Ces chiffres indiquent que les prix médians ont baissé de près de 13 % par rapport à leur maximum, mais comme ces moyennes ne tiennent pas compte des logements qui changent de propriétaire, donnée qui varie d'un mois à l'autre, elles sont inévitablement distordues.

Les cartes de M. Bernanke utilisent les chiffres de l’Office of Federal Housing Enterprise Oversight (OFHEO). Les statistiques de cet organisme ont une portée géographique étendue et tiennent compte des ventes répétées d’une même maison. L’indice national mensuel indique que les prix n’ont chuté que de 3 % depuis le pic d’avril 2007 et les chiffres trimestriels sont toujours positifs. Mais les chiffres de l’OFHEO ne tiennent compte que des maisons financées par des hypothèques cautionnées par les géants parrainés par le gouvernement, Fannie Mae et Freddie Mac. Ils excluent les cas extrêmes du marché, qui correspondent aux prix ayant augmenté le plus rapidement dans le cadre de cette « bulle immobilière » et aux cas les plus catastrophiques de panique hypothécaire. Ainsi, les chiffres de l’OFHEO sous-estiment probablement la portée du désastre. Un autre ensemble d’indices, développé par Robert Shiller et Karl Case et produit par l’agence de cotation Standard & Poor’s (S&P), englobe tous les types de maisons et montre que le prix des logements a augmenté plus rapidement lors du boom et qu’il chute plus rapidement maintenant. Bien que les chiffres de Case-Shiller ne soient pas parfaits, car ils ignorent plusieurs zones rurales, ils donnent une meilleure idée de la baisse des prix dans les grandes villes.

Il est encore plus compliqué d’estimer jusqu’où les prix sont susceptibles de chuter. Les investisseurs tablent sur une nouvelle chute de 20 % sur la base des prix des futurs contrats en relation avec l’indice Case-Shiller. Mais le marché à terme est restreint et illiquide et peut dépasser le fléchissement prévu.

L’écart entre l’offre et la demande indique que les prix pourraient baisser beaucoup plus. Selon les standards historiques, le marché présente une surabondance de logements non vendus. Le ratio propriétaires/logements vacants est monté en flèche pour atteindre un niveau record de 2,9 % : il y a environ 1,1 million de maisons « excédentaires » à vendre par rapport à la moyenne atteinte entre 1985 et 2005. Bien que le nombre de maisons neuves diminue, les constructeurs ayant fortement réduit leur production, l’offre de maisons à vendre augmente du fait des forclusions.

Selon la plupart des mesures, les prix sont toujours au-delà des niveaux impliqués par les facteurs économiques fondamentaux. Sur la base d’un modèle établissant un lien entre le prix des logements d’une part et le revenu disponible et les taux d’intérêt à long terme d’autre part, des analystes de la société Goldman Sachs estiment que la correction des prix de l’immobilier à l’échelle nationale n’en est qu’à mi-parcours. Ils attendent une correction globale de 18 à 20 % ou une nouvelle baisse de 11 à 13 % par rapport au niveau actuel. Mais leurs modèles indiquent que six états, à savoir l’Arizona, la Floride, la Virginie, le Maryland, la Californie et le New Jersey, pourraient connaître une nouvelle chute des prix d’au moins 25 %.

Les optimistes soulignent le fait que certaines conditions d’accès à la propriété se sont considérablement améliorées. Selon les chiffres de la NAR, les paiements mensuels pour une maison type avec une hypothèque sur 30 ans et un apport initial de 20 % représentaient 18,5 % du revenu médian en février, ce chiffre ayant atteint 26 % au plus fort de la crise, ce qui était proche de la moyenne historique. Mais ces chiffres sont trompeurs, notamment parce que les standards en matière de crédit se sont resserrés. Une étude menée auprès des agents prêteurs par la Fed a révélé le 5 mai que 60 % des banques ont resserré leurs standards en termes de prêt pour les hypothèques au cours des trois premiers mois de 2007. Et comme le souligne Michael Feroli de la société JPMorgan, l’évaluation de l’accessibilité dépend de la manière dont vous calculez le prix de l’immobilier. Si vous utilisez l’indice Case-Shiller, avec lequel l’accessibilité de l’immobilier s’est fortement dégradée, le remboursement hypothécaire reste très élevé par rapport aux revenus.

Une meilleure façon consiste à établir un lien entre le prix de l'immobilier et le marché de la location. Il s’agit d’une sorte de ratio prix/bénéfices pour le marché de l’immobilier : le prix d’un logement reflète la valeur actuelle de la propriété future, sous forme de revenu locatif ou de loyer économisé par le propriétaire vivant dans le logement.

Une récente analyse réalisée par Morris Davis de l’université du Wisconsin-Madison, ainsi que par Andreas Lehnert et Robert Martin de la Fed, montre que le rendement location/prix aux États-Unis était compris entre 5 % et 5,5 % entre 1960 et 1995, puis qu’il s’est rapidement effondré pour atteindre un niveau historique de 3,5 % au plus fort de la crise. Étant donné le rythme typique de la croissance locative, M. Feroli estime que le prix des logements (calculé selon l’indice Case-Shiller) doit baisser de 10 à 15 % au cours des 18 mois à venir pour que le rapport parmi le rendement prix de location/prix de vente retrouve sa moyenne historique. Encore une fois, cela suggère que la baisse de l’immobilier sur le plan national n’en est qu’à mi-chemin. Et étant donné l’étendue de l’excédent d’offre, le prix des logements risque l’effondrement. Pour tout dire, la pression subie par la classe politique dans l’optique d’aider les propriétaires à s’en sortir n’est pas près de se relâcher.