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Rockeurs, militants, habitants ensemble en défense de la forêt de Khimki

Rockeurs, militants, habitants ensemble en défense de la forêt de Khimki, MOSCOW, august 2010

Concert to support the struggle against the Khimki forest destruction and for freedom (Moscow, 2010)

Evguenia Tchirikova, leader du mouvement de défense de la forêt de Khimki (banlieue de Moscou) n’aurait jamais imaginé se retrouver devant pareille foule et parmi de telles personnalités, lorsqu’elle a commencé son combat, presque en solitaire, il y a deux ans désormais. Alors qu’elle se promenait avec ses deux enfants en bas âge, elle avait alors été choquée par les panneaux annonçant les futurs abattages dans la forêt de Khimki pour permettre la construction d’une autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg.

Rockeurs, militants, habitants ensemble en défense de la forêt de Khimki, MOSCOW, august 2010

Freedom for Maxim Solopov and Alexei Gaskarov (2010)

« Nous ne sommes pas contre la construction de l’autoroute, nous sommes pour un tracé alternatif, qui épargne la ceinture verte autour de Moscou », répète-t-elle inlassablement pour faire taire les méchantes langues qui accusent les défenseurs de la forêt de bloquer le progrès technique. Elle l’a répété encore une fois le 22 août dernier, sur la place Pouchkine, devant une foule de plus de 3000 personnes venue soutenir le combat des habitants et militants écologistes contre le lobby politico-financier soutenu par les plus hautes instances du pouvoir puisque c’est le Premier ministre Vladimir Poutine qui a signé l’autorisation du chantier.

Cette lutte, partie d’une initiative citoyenne d’habitants de la région, se heurte à de brutales répressions et au « mur de la corruption », ainsi que l’appelle Eveguenia. Aussi est-elle devenue «un symbole de la lutte citoyenne contre l'arbitraire de l'Etat». C’est ce qui explique pourquoi, dimanche 22 août plus de 3000 personnes sont au rendez-vous, malgré tous les efforts du pouvoir pour interdir le concert et discréditer ses organisateurs. Il s’agit d’une des plus importantes manifestations citoyennes de ces dernières années, organisée en-dehors des structures partisanes bureaucratiques et rassemblant un cercle très large d’associations, de mouvements sociaux et de personnalités du monde de la culture, pourtant réticentes jusque-là à s’afficher en public dans des manifestations à caractère oppositionnel.

Rockeurs, militants, habitants ensemble en défense de la forêt de Khimki, MOSCOW, august 2010

Sending letter to Russian President against destruction Khimki forest (2010)

A l’approche de la place Pouchkine, les manifestants étaient retardés, et pour certains arrêtés, par des dizaines de cars de police et des OMON (unité anti-émeutes) équipés de casques et de gilets pare-balles stationnés tout autour de la place. Une énorme file d'attente s’est ainsi formée aux accès de la place barricadée, mais les gens ont patiemment fait la queue et attendu que les forces de l’ordre veuillent bien les laisser passer.

Ils ont attendu également plus d’une heure avant de pouvoir entendre ne serait-ce que vaguement les voix des orateurs et ceux des chanteurs prévus à ce concert militant. Car la mairie de Moscou avait interdit la partie musicale du rassemblement, et la police a bloqué l'accès à l'équipement sonore.

L’un des initiateur du concert, Iouri Chevtchouk, chanteur culte du groupe mythique des années Péréstroïka DDT, a donc ouvert la manifestation sans même un micro. Debout sur un escabeau, guitare à la main, il s’est déchiré la voix à chanter quelques-unes de ses chansons les plus connues qui étaient reprises en choeur par une foule brandissant des drapeaux et des pancartes aux slogans écologistes et politiques.

Les personnes les plus éloignées de la scène n’entendaient rien, mais reprenaient en choeur les slogans : « Du son, du son! », « Pas touche à notre forêt! », « C’est notre pays ! », « la Russie sans Poutine ! », « Libérez les ôtages de Khimki ! » (allusion aux deux jeunes militants gauchistes et anarchistes, arrêtés le 29 juillet pour leur participation au soi-disant « pogrom » de la Mairie de Khimki). Pendant trois heures les gens ont levé le poing, frappé dans leurs mains, scandé leur voix retrouvée malgré l’absence de sono. Retraités et jeunes, anarchistes, communistes et libéraux, politiques, associatifs et stars du rock, tous communiaient dans l’idée, répétée par plusieurs orateurs, d’une mobilisation citoyenne en marche contre l’arbitraire du pouvoir, pour la dignité humaine, la solidarité, les libertés politiques et la démocratie.

Loin des manifestations de l’opposition libérale dite radicale, tant par son ancrage dans les préoccupations quotidiennes des gens que par le large éventail des manifestants et organisations représentées, ce rassemblement a des chances de faire date dans l’histoire des mobilisations citoyennes post-soviétiques.

Car ainsi que l’a déclaré le chef d’orchestre du meeting-concert, Artemi Troïtski, la manifestation a pris un tour politique et oppositionnel contre la volonté des organisateurs eux-mêmes, à cause de la « bêtise » des représentants du pouvoir qui ont interdit le concert, à cause de l’arbitraire de répressions contre de simples habitants qui ne commettent d’autres crimes que d’oser élever leur voix contre des projets politico-économiques décidés sans eux et contre eux.

 

Rappel: Khimki territoire de non-droit

Le 28 juillet au soir, plus de 500 jeunes s’attaquaient à la Mairie de Khimki, cette ville de la banlieue de Moscou devenue tristement célèbre ces dernières semaines pour être le terrain d’une lutte sans merçi entre les défenseurs de la forêt de Khimki, menacée de destruction par le projet d’autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg et les autorités – fédérales et locales – ainsi que les responsables et administrateurs du chantier, parmi lesquels la firme française Vinci. La bataille des habitants de Khimki, appuyés par les écologistes et les militants politiques d’opposition, dure depuis des années. Procès, lettres ouvertes aux autorités, pétition signée par plus de 8.000 personnes, rassemblements, manifestations – tous les moyens ont déjà été utilisés pour obtenir une révision du tracé de l’autoroute, afin de préserver la forêt, ceinture verte autour de la capitale. Rien n’y a fait. Le 15 juillet dernier débutait l’abattage surprise des premiers hectares. Depuis, malgré quelques arrêts temporaires obtenus de haute lutte grâce à des raids écologistes dans la forêt, l’intervention de députés de la Douma fédérale, l’examen du dossier par la Chambre civique fédérale, l’avis défavorable à l’abattage émis par la Procurature, les coupes continuent.

Ce 28 juillet, à 17h, les habitants et défenseurs de la forêt étaient invités à une discussion publique par les autorités locales. Arrivés au rendez-vous, les militants apprenaient par une affichette collée à la porte du Palais de la culture de Khimki que la discussion était reportée à une date non précisée. Outrés par cet affront, les militants se sont rendus directement à l’endroit présupposé de l’abattage du moment pour mettre en place un nouveau camp de veille. Comme à chacun de leurs raids en forêt, ils étaient attendus par des jeunes se disant « gardiens » de la bonne marche du chantier. Evguenia Tchirikova, leader du mouvement de défense de la forêt de Khimki, jeune mère de deux enfants en bas âge, raconte que les accrochages entre les écologistes et ces jeunes « à l’aspect de voyous » sont monnaie courante et que la police laisse faire, malgré les injonctions des militants. Pire encore, ce jour-là, tout comme de nombreuses autres fois, ce sont les militants que la police a arrêtés et emmenés au poste. « Notre camp a été encerclé et on nous a dit de quitter la forêt. Les OMON nous ont embarqués », commentait les faits Evguenia Tchirikova.

Ce même jour, de nombreux jeunes militants des mouvements antifascistes, anarchistes et autres informels de gauche s’étaient donnés rendez-vous à Moscou sur la place Trubnaïa pour un concert de soutien à la cause de la forêt de Khimki. Apprenant les dernières nouvelles du théâtre des opérations à Khimki, ils ont pris le premier train de banlieue pour aller porter secours aux militants écologistes. Leur chemin de la gare à la forêt passait par la Mairie de Khimki. Emotion, indignation, les premières pierres sont parties, suivies de bouteilles et de fumigènes. Les murs ont été recouverts de graffitis dont le slogan était « Sauvons les forêts de Russie ! ». La police, occupée à neutraliser les militants écologistes, est arrivée avec un grand retard, les jeunes s’étaient déjà dispersés.

Un tel affront aux autorités publiques et aux forces del’ordre, montré dans tout le pays y compris par les chaînes de télévision officielles, devait être vengé. Dès le lendemain étaient arrêtés deux jeunes supposés coupables de l’organisation du « pogrom » de Khimki, Alexeï Gaskarov et Maxim Solopov. Le protocole d’arrestation indique qu’ils auraient été « pris sur les lieux du crime ». En fait, de nombreux témoignages indiquent qu’ils se sont rendus eux-mêmes volontairement à un énième entretien avec les représentants des forces de l’ordre qui les connaient depuis longtemps comme quelques-uns des rares antifascistes acceptant le dialogue avec la police et manifestant publiquement leurs opinions.

A suivi un procès commandité pour décider des mesures de détention des deux inculpés. A deux reprises, le 31 juillet et le 3 août, l’affaire a été entendue dans le plus grand secret (le tribunal de Khimki était encerclé par la police et les OMON, les séances étaient fermées au public, y compris aux journalistes et à la famille). Résultat des courses : Gaskarov et Solopov vont passer deux mois en prison en réclusion préventive. Ils sont accusés d’ « actes de voyourisme perpétrés par un groupe ayant prémédité ses actes » (article du Code pénal prévoyant jusqu’à 7 ans de prison). Les avocats parlent de faux témoignages à charge. Les militants du mouvement antifasciste déclarent que Gaskarov et Solopov ont été choisis comme boucs-émissaires pour l’unique raison qu’ils sont les figures les plus connues du mouvement. Les collègues de Gaskarov, qui collabore aux activités de l’Institut de l’Action Collective et couvrait les évènements de Khimki pour cette agence d’information militante, insistent sur l’engagement d’Alexeï pour les actions non violentes et la propagande pacifiste de l’anti-racisme et de l’anti-capitalisme. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une affaire pénale fabriquée pour des raisons politiques.

Les agissements brutaux et peu légaux de la police confirment cette version des faits. Le 4 août, à l’issue d’une conférence de presse portant sur l’affaire du « Pogrom de Khimki : fabrication de coupables » et tenue à Moscou au Centre indépendant de la presse, devant une trentaine de journalistes ahuris et indignés, Evguenia Tchirikova était brutalement embarquée par les forces de l’ordre et conduite au poste pour apporter son témoignage sur le soi-disant « pogrom » de la Mairie de Khimki (rappelons qu’au moment des faits, elle participait au campement écologiste au fin fond de la forêt de Khimki, avant d’être arrêtée par la police...). Après quatre heures d’interrogatoire, elle a été libérée... pour être arrêtée à nouveau le lendemain et conduite manu-militari devant le tribunal, cette fois-ci pour être jugée pour « manifestation illégale » (le camp écologiste). Elle s’en est sortie, pour cette fois, par une faible amende.

Mais la pression va croissante, tant sur les habitants les plus actifs de Khimki que sur les militants écologistes et ceux du mouvement antifasciste, anticapitaliste ou d’opposition. La police multiplie les perquisitions plus ou moins légales, y compris au siège des médias à la ligne trop « sympathisante » pour les « voyous » (notamment, Kommersant, Novaïa Gazeta, Svobodnaïa Pressa), de nombreux militants témoignent de coups de téléphone assortis de menaces et certains ont été littéralement kidnappés chez eux pour être forcés à témoigner.

Tout cela laisse à penser que l’affaire est éminemment politique, que les forces de l’ordre s’appliquent à rassembler les preuves à charge par tous les moyens. En un mot, les militants, de tous bords, osant prendre partie pour la défense de la forêt de Khimki, sont considérés comme des criminels en puissance. Il en va de la réputation des pouvoirs locaux (qui ne peuvent laisser le saccage de la Mairie impuni), de l’autorité des pouvoirs fédéraux (commanditaires du chantier de l’autoroute), de l’avenir d’un dossier particulièrement sensible compte tenu des intérêts économiques et politiques en jeu.

Rappelons que le journaliste et militant local Mikhaïl Beketov a déjà fait les frais de sa lutte contre le chantier et contre la corruption de la Mairie, ayant été tabassé à mort en novembre 2008 après des révélations visiblement gênantes pour certains. Il a survécu mais est gravement diminué physiquement, et son agression, dont le mouvement pour la sauvegarde de la forêt de Khimki attribue la responsabilité au Maire de Khimki, n’a jamais été élucidée.

Pour faire face à cette deuxième montée en puissance des forces répressives et corrompues, une campagne unitaire est lancée « Contre la destruction de la forêt de Khimki, contre le terrorisme du pouvoir et les voyous à son service ». Des dizaines de groupes – d’habitants de quartiers, d’organisations écologistes, de groupements de gauche ou d’opposition libérale, antifascistes, anarchistes – auxquels s’ajoutent des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et certains hommes politiques de l’establishment – tentent d’initier une campagne commune pour obtenir la libération de Gaskarov et Solopov, la sauvegarde de la forêt de Khimki et l’arrêt des répressions arbitraires des militants écologistes. Des pétitions circulent, des appels à solidarité sont lancés. A Moscou, la première action de solidarité est annoncé pour le 7 août, à 17h, devant le Monument Griboedov.

A en croire les sondages, l’opinion publique soutient plutôt les soi-disant « émeutiers ». A lire la presse, l’indignation monte. Peut-être que le pouvoir, cette fois-ci, est allé un peu trop loin dans l’arbitraire...

Khimki pourrait bien devenir le symbole d’une nouvelle alliance entre les mobilisations citoyennes de base, les mouvements de jeunes plus radicaux, les groupements politiques d’opposition et une partie de l’establishment politique – « contre l’arbitraire et la corruption du pouvoir » qui répond aux mobilisations par la violence et la répression.

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